En 1996, à Paris, ceux qu'on appelait alors les "sans-papiers" organisèrent un grand mouvement d'occupations de lieux symboliques pour protester contre les nouvelles lois immigration qui avaient fait de beaucoup d'immigrés "légaux" des clandestins indésirables. Une de ces occupations est restée dans l'histoire : celle de l'église Saint-Bernard de la Chapelle, soutenue par des personnalités aussi populaires et diverses qu'Emmanuelle Béart, Ariane Mnouchkine ou Léon Schwarzenberg, dont l'évacuation spectaculairement violente fait encore parler d'elle (la police a défoncé les portes à coups de hache).
Dans Les portes, Gauz revient sur ces événements avec au centre le personnage phare de Madjiguène Cissé, "porte-parole" des sans papiers, une intellectuelle engagée et fortement respectée. Pour restituer l'atmosphère de ces jours particuliers, les débats et les échanges, l'auteur a choisi une oralité qui sied parfaitement aux cultures majoritairement africaines des acteurs du mouvement, donnant au roman une forme théâtrale (qui rappelle incidemment la pièce de Christiane Taubira Frivolités, paru à l'hiver 2023). A la fois savants et drôles, toujours percutants, les dialogues rendent compte de la richesse culturelle de ces immigrés, de leurs différences mais aussi de leurs points communs, et des incompréhensions qui, parfois, émaillent leurs relations avec leurs "soutiens" français.
Qu'on ait connaissance ou non de cet épisode de l'histoire récente, que la vie des migrants nous interpelle particulièrement ou non, Les portes est une lecture hautement recommandable pour tous les amoureux de la langue et les curieux de la culture. Avant l'histoire en tant que telle, qui se lit d'une traite comme du petit lait, le prologue, où Gauz explique sa démarche, vaut particulièrement le détour. Mais surtout, les interrogations des personnages comme de l'auteur, leurs luttes et leurs quotidiens, leur courage et leurs petites lâchetés, sont à l'image de toute l'humanité.