Ce premier essai d'ethnographie de Nastassja Martin, paru en 2016, a été écrit dans la foulée de son long séjour de thèse en Alaska auprès des Gwich'in, un des nombreux peuples autochtones du Grand Nord-Ouest de l'Amérique. Bien qu'on sente une certaine naïveté dans l'écriture (contrairement aux livres suivants de l'autrice), on ne peut qu'être convaincu par l'honnêteté scientifique du texte, qui mélange impressions personnelles, empathie et objectivité toute professionnelle vis à vis de la culture du peuple étudié, sans condescendance ni parti pris ; et être happés par la force de son récit, sur ce peuple aux antipodes des visions et représentations du monde occidental.
Nous découvrons ainsi les Gwich'in, chasseurs, guerriers, joueurs et malicieux, à la fois animistes et terre-à-terre, vivant autant dans le présent que dans le monde des mythes et des rêves. A l'opposée de la vision tragico-romantique de nos sociétés, ces gens ne sont ni écologistes, ni pervertis par l'invasion américaine, et ils ne sont pas plus pacifistes que déboussolés face au changement climatique. Par contre, ils se battent quotidiennement, contre les barrières imposées à leurs liberté par les lobbys industriels d'un côté et les organismes de préservation de la nature de l'autre. Les mettant dos à dos dès les premières pages, à l'instar des Gwich'in eux-mêmes, Nastassja Martin décrit le fossé qui existe entre l'imaginaire des peuples occidentaux et celui de ces tribus vis-à-vis de la nature, des rapports homme-animaux et même des rapports des humains entre eux... et les effets délétères de ces différences lorsqu'une vision cherche à dominer toutes les autres.
Une lecture passionnante.