La dynastie des Mérovingiens a laissé derrière elle, outre quelques images d’Epinal (le vase de Soissons, la culotte du roi Dagobert…) une image résolument négative. Après les grandes conquêtes de Clovis, ses descendants auraient trahi son héritage en gouvernant mal, divisant leurs royaumes, laissant prospérer la corruption et s’entretuant en famille. Bruno Dumézil nous propose, de manière paradoxale, de nous interroger sur les causes du succès des Mérovingiens.
En effet, alors que la plupart des « royaumes barbares » issus de l’affaiblissement de l’Empire romain se sont effondrés (les Wisigoths, les Vandales…), les Mérovingiens ont prospéré et exercé leur autorité sur un territoire immense pendant des siècles. Ce succès est notamment dû à leur système politique, bien plus subtil qu’il n’y paraît : le roi n’y est pas le souverain absolu d’un territoire clairement délimité et centralisé, mais l’acteur central d’un jeu politique fondé sur la négociation avec les « nobles », tirant son pouvoir de sa capacité à redistribuer les terres et les richesses, ainsi que sur sa capacité à apparaître comme un défenseur de la Chrétienté. Chaque succession royale est l’occasion de renégocier les rapports entre pouvoir royal et noblesse. C’est aussi fréquemment l’occasion pour les femmes de la famille royale d’accéder au pouvoir, en tant que régente d’un souverain mineur.
Bruno Dumézil écrit sur l’histoire des Mérovingiens plutôt que de chercher à tout prix à parler de l’histoire de la « France ». On se rend compte en effet à la lecture que cette distinction géographique n’a pas grand sens pour cette période : les Mérovingiens et leurs sujets croient en l’existence d’un « regnum Francorum » (royaume des Francs) immense et unique, couvrant des territoires allant de l’Aquitaine à la Frise, en passant par la Bavière, la Burgondie ou l’Alémanie. Ce royaume a beau être fréquemment divisé en sous-royaumes (Neustrie, Burgondie, Austrasie…), ces divisions demeurent temporaires et renégociables, et les élites agissent à l’échelle du regnum Francorum tout entier. C’est cet immense regnum Francorum, sans cesse en évolution, que Bruno Dumézil qualifie, de façon quelque peu provocatrice, d’« empire ». Cet « empire mérovingien », s’il n’a jamais atteint le niveau de centralisation administrative de l’Empire romain, ni la puissance militaire de l’empire de Charlemagne, mérite néanmoins d’être mis en lumière. Ce que fait Bruno Dumézil avec brio.